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Lettre aux amis
témoignage d'une membre de l’association Parrainages d’Enfants de Palestine et de l'ASP,
de retour de voyage en Palestine - 15/03/09

Pleureras-tu pour une orange?
Pleureras-tu pour une olive?
Pleureras-tu?
Oui, je pleurerai pour le grain de sable.
Je pleurerai jusqu’à ce que tu saches
que la Palestine est mon pays.

 

Chers Amis,

Voilà, la boucle est fermée, je suis rentrée en Suisse, saine et sauve, la tête pleine d’images, les oreilles pleines de tout ce que j’ai entendu, le cœur plein d’admiration pour le courage des Palestiniens qui s’acharnent à vivre dans des conditions extrêmement difficiles.

Le but de mon voyage en Palestine était double: d’une part, mieux connaître le vécu des Palestiniens et leur dire «nous ne vous oublions pas», d’autre part, témoigner de ce vécu à mon retour en Suisse. Je pense avoir atteint le premier but là-bas, la réussite du second dépend de l’attention que vous voudrez bien prêter à ce récit.

Si vous pensez que l’apartheid est une bonne chose, ne lisez pas la suite de cette lettre! Car il s’agit bien d’apartheid. Tout est séparé en deux parties inégales: israélien / non israélien. Il y a les villes israéliennes, les colonies israéliennes disséminées sur tous les territoires palestiniens «occupés» où les Palestiniens n’ont pas le droit d’aller. Mais l’autorité militaire israélienne interdit également aux Israéliens d’utiliser certaines routes ou d’entrer dans certains quartiers des villes palestiniennes telles que Bethléem, Hébron, Jéricho… Ils sont passibles d’amendes ou même de peine de prison s’ils se font contrôler par la police israélienne dans ces zones!

En Cisjordanie, le mur de séparation est omniprésent, dans toute son horreur (8 mètres de haut), malgré les graffiti que les Palestiniens ont tracés dessus dans certains quartiers d’habitation. La région de Bethléem, Beit-Jala et Beit-Sahour est cernée de toutes parts et les militaires israéliens sont là, mitraillette au poing. La plupart des habitants de ce tout petit périmètre ne sont plus sortis de leur village depuis plus de dix ans! Car, pour aller à Jérusalem (8 km), il leur faut une carte d’identité spéciale, valable une année, assortie d’un permis de circulation délivré par l’autorité israélienne, à renouveler tous les 3 mois (et il faut chaque fois attendre plusieurs jours pour recevoir le nouveau permis). Alors, les gens n’ont pas envie de bouger de chez eux, ils ont peur de rencontrer des colons israéliens (armés) et ils ne veulent plus traverser les checkpoints où il faut passer l’un après l’autre par un ou deux tourniquets métalliques et subir un contrôle bien plus sévère que celui que nous avons dans nos aéroports.

Les checkpoints sont une source d’allongement de tous les trajets (car on ne peut franchir le mur qu’aux checkpoints), sans compter les temps d’attente et de contrôle de tous les laissez-passer, une humiliation et une cause d’irritation car il n’y a aucune règle qui garantit l’ouverture ou la fermeture du checkpoint.

J’ai rencontré beaucoup de gens formidables, dynamiques, créatifs et travailleurs ; j’ai rencontré également le fatalisme, le désoeuvrement (45% de chômeurs à Bethléem et pas d’indemnités de chômage), la pauvreté (voire la misère), la saleté… Sans les aides internationales, les ONG, les organismes de Volontaires et Bénévoles, les Eglises de toute confession, la Palestine est vouée à une mort certaine. Le territoire qui s’étendait, avant 1948, dans l’espace limité par le Liban, la Syrie, la Jordanie, l’ Egypte et la Mer Méditerranée, ne comprend plus actuellement que 19% de cette surface et les Palestiniens ne peuvent pas passer de Cisjordanie à Gaza ou vice versa. Les principaux points d’eau sont sous contrôle israélien, pour leurs colonies en priorité. En été, il y a parfois des périodes de six semaines pendant lesquelles il ne pleut pas et pendant lesquelles Israël garde les robinets fermés! Elles sont belles les forêts israéliennes, ils sont beaux «leurs» arbres fruitiers, mais combien a-t-il fallu de larmes de Palestiniens pour les arroser?

Sécurité, sécurité, sécurité!

Tous les prétextes sont bons pour exproprier les Palestiniens et démolir leurs maisons, une loi israélienne leur interdisant de la reconstruire. Durant la période où j’étais là, Israël a prévu de détruire 88 maisons à l’extérieur de l’enceinte de la vielle ville de Jérusalem, en zone palestinienne, pour construire… un parc! Peuple de paysans, par excellence, les Palestiniens sont privés de leurs oliviers, leur principale source de revenu, qui sont arrachés (et parfois replantés du côté israélien) pour construire le mur.

J’ai eu la chance de travailler dans un Centre d’ Education à l’ Environnement. Des locaux exigus et mal chauffés (j’ai eu vraiment froid!), situés dans une nature que le Centre s’efforce de préserver et d’entretenir (grâce au soutien financier de l’Eglise luthérienne). Le but du Centre est axé sur la prise de conscience des problèmes de l’environnement, de la sauvegarde des ressources naturelles (l’eau notamment), du maintien de la flore et de la faune et de l’embellissement de leur contrée en cherchant à édifier une Palestine verte!

Différents groupes de population sont mobilisés pour arriver à cela: des étudiants, des enseignants, des groupes de femmes, des chefs d’entreprise. Parmi les moyens utilisés, il y a les publications, des livres, des brochures, des jeux ou des concours pour les écoliers, des campagnes de volontaires et l’organisation de journées thématiques comme celle du nettoyage des lieux publics ou le festival de la récolte des olives. Celui-ci a lieu chaque année et permet aux paysans (qui en ont encore), de vendre leur huile et aux artisans de vendre des objets fabriqués à partir de bois d’olivier.

Le Directeur exécutif du Centre, biologiste de formation, s’investit énormément, avec beaucoup d’enthousiasme et de compétence, sans compter ses heures. Il réalise un travail très important dans un pays où la conscience de l’environnement et de ses retombées sur le vécu des êtres humains fait cruellement défaut.

J’ai également pu passer dans un atelier protégé pour «personnes ayant des besoins spéciaux»: adultes handicapés mentaux profonds, IMC ou autistes. Là aussi, je suis admirative devant les réalisations qui sont faites avec très peu de moyens (pas d’assurance invalidité, pas de subsides de l’état). Les femmes qui animent cet atelier le font avec beaucoup d’empathie, de dynamisme, d’ingéniosité en incluant le plus possible les «pensionnaires» dans la production d’un travail artisanal qui leur donne une image positive d’eux-mêmes et qui leur rapporte quelques ressources financières, si minimes soient-elles, pour couvrir partiellement les frais de matériel et de locaux de l’atelier.

J’ai passé une autre journée dans un Centre d’accueil de jour pour personnes âgées. Un lieu de rencontre convivial et souriant, avec des activités proposées pour permettre aux aînés de jouir d’un petit moment de bien-être bien mérité. Il n’existe bien sûr pas d’assurance vieillesse (AVS pour les Suisses): le Centre ne peut fonctionner que grâce à des dons extra–palestiniens et les salaires du personnel d’accompagnement est insuffisant pour subvenir aux besoins d’une famille (450 à 600 CHF par mois).

J’ai visité plusieurs écoles, du niveau jardin d’enfants à la fin de la scolarité secondaire. La plupart des écoles sont privées ou confessionnelles, c’est à dire dépendant des dons d’organismes ou des Eglises. L’état ne finance ni les locaux, ni les salaires des enseignants. Plusieurs familles n’arrivent plus à payer l’écolage et dépendent de la «charité» de donateurs. Les classes comprennent entre 30 et 35 élèves et les Services auxiliaires scolaires se résument à quelques heures de cours d’appui avec un enseignant spécialisé, pour les cas les plus difficiles. Pas de psychologie scolaire, pas de logopédie… Par contre, tous les enfants apprennent plusieurs langues dès la première primaire : arabe, anglais et allemand ou anglais et français suivant l’organisme ou le pays qui soutient l’école.

J’ai pu voir des ateliers de verre soufflé, de céramique, de fabrication de keffiehs, de sculpture de bois d’olivier. Les locaux sont vétustes, malsains et démunis de mesures de sécurité élémentaires et de protection sonore là où il y a des machines ou des fours en activité.

Un autre problème: les Camps de réfugiés. Il en existe encore plusieurs depuis 1948 et 1967. Les tentes ont fait place à des cubes de béton. les rues sont étroites et mal entretenues et ne sont pas éclairées la nuit. Les enfants n’ont pas d’autre place de jeu que la rue. Pas de plantes, pas de jardins : la promiscuité y règne. Mais que faire de cette population qui en est à la troisième génération: leurs terres ont été confisquées, leurs habitations démolies et les colons parfois fraîchement débarqués de Russie, de France, des USA ou d’ailleurs règnent en maître sur le sol qui a vu naître les parents et les grands-parents des réfugiés, depuis des générations… Des «Volontaires» internationaux tentent d’aider les femmes des camps en créant des ateliers d’objets artisanaux : broderie, confection de vêtements, objets divers.

Avec mon passeport suisse, j’ai pu voyager et aller à Hébron, Jéricho, Jérusalem et Nazareth, en empruntant parfois jusqu’à sept bus ou taxis différents pour une seule destination. Tout déplacement prend du temps, si vous ne voyagez pas à bord d’une voiture avec plaques jaunes israéliennes (celles des Palestiniens de Cisjordanie sont vertes et ne sont pas admises sur les autoroutes israéliennes).

J’ai été confrontée à la stupidité des règlements policiers israéliens car j’ai voulu passer la frontière vers la Jordanie, depuis Jéricho, pour aller voir le Pont Allenby. Quand j’ai réalisé qu’il fallait payer un visa d’entrée (50 à 60 CHF), j’ai renoncé à ce projet. Mais je me suis trouvée coincée par les contrôleurs israéliens qui ne comprenaient pas pourquoi je voulais faire demi tour. J’ai été bombardée de questions toutes plus idiotes les unes que les autres jusqu’à ce qu’on veuille bien me rendre mon passeport et mon téléphone portable et accepter le fait que je ne souhaitais qu’une chose : retourner à Jéricho par le même chemin que celui que j’avais emprunté le matin même, mais en sens inverse!

Durant les trois jours que j’ai passés à Jérusalem, j’ai sillonné la vieille ville en tous sens et je souhaitais aussi pouvoir admirer l’esplanade du temple et la Mosquée. Impossible le vendredi: c’est le jour de prière des musulmans. Impossible le samedi: c’est le shabbat et les militaires israéliens empêchent l’accès de plusieurs lieux stratégiques de la vieille ville. Il ne me restait que le dimanche matin. Les militaires israéliens m’ont arrêtée là où je voulais passer: on ne passe pas par ici avant 10 heures du matin. Après deux checkpoints et une queue, j’accède finalement à l’esplanade. Mais, presque aussitôt un policier arrive: il faut partir, on ne peut pas rester ici après 10 heures! Allez comprendre leur logique : pas le vendredi, pas le samedi, pas avant 10 heures, pas après 10 heures!

Tout est difficile pour les Palestiniens, alors que les colons israéliens, dont plusieurs ont installé leur colonie dans l’illégalité complète sur des territoires palestiniens, ont tous les droits.

A Hébron, des rues entières ont été barricadées car les colons se sont installés dans des maisons voisines : ils chicanent et humilient les Palestiniens régulièrement, jetant leurs immondices par les fenêtres dans les rues palestiniennes. Les commerçants palestiniens des rues squattées par les colons israéliens ont dû fermer boutique car des barrières métalliques en empêchent l’accès.

Combien de traités de paix y a-t-il eu depuis 1948? Pas un seul n’a réussi à convaincre les deus parties. Les palestiniens ne peuvent accepter la confiscation et l’occupation de leurs terres que les Israéliens accaparent au nom d’un droit biblique ou de leur sécurité…

Je ne me suis jamais sentie en insécurité sur les territoires palestiniens et pourtant, je me promenais très souvent seule: les Palestiniens ne sont pas belliqueux ni haineux, ils ne cherchent pas l’affrontement. Ils demandent juste que justice leur soit rendue et qu’on leur laisse le droit de vivre dans des conditions décentes.

Tout ce que je vous raconte ici, je le savais partiellement avant de partir: je ne peux que le confirmer et vous dire que je l’ai vu de mes propres yeux. Je pourrai vous en montrer des photos, pour ceux que cela intéresse. Je ne vous parle pas de Gaza, car je n’y suis pas allée. Il paraît qu’on va reconstruire Gaza! Mais comment fera-t-on pour rendre à leurs parents les 400 enfants tués par l’armée israélienne, comment fera-t-on pour rendre leur mère ou leur père aux orphelins, pour rendre les vieillards à leur famille? Au nom d’une soi-disant sécurité, tous les crimes sont-ils permis? Je vous livre à la fin de ma lettre le témoignage de Ahmed Masoud qui a quitté Gaza en 2002.

Du travail, il y en aurait plein, mais l’argent manque. Alors, si vous voulez aider les Palestiniens, venez voir sur place (le tourisme est une des rares sources de revenu). Et si vous connaissez des jeunes qui souhaitent passer quelques mois ou une année sabbatique en faisant du volontariat, il y a des tas d’organismes auxquels ils peuvent s’adresser. Je peux également vous indiquer quelques opportunités.

Avant de terminer cette missive, je tiens à remercier tous les Palestiniens si joviaux qui vous disent «welcome» avec le sourire à tous les coins de rue,

à Vous Tous qui avez eu la patience de me lire et qui m’avez encouragée dans mon entreprise.

Recevez mes salutations chaleureuses et amicales

M. F.-D.

 

N.B. Pour ceux qui ont reçu ma première lettre, veuillez m’excuser de l’erreur que j’ai commine en vous communiquant le numéro du compte de l’Association Aider Beit Sahour. Veuillez prendre note du numéro exact ci-dessous. Merci
Association Aider Beit Sahour, Cis Jordanie
Banque Cantonale de Fribourg, SUISSE BIC: BEFRCH22
IBAN: CH9800 7680 1104 0085 809 (ne pas laisser de blanc entre les chiffres)

 

 

Témoignage de Ahmed Masoud,
chercheur palestinien et étudiant à l’Université de Londres

« Lorsque j’ai pris le train de Londres vers l’Ecosse pour la première fois, j’ai emporté mon passeport avec moi, au cas où je rencontrerais un policier qui me demanderait mon laissez-passer. Le train partit. Mon visage était quasi collé à la fenêtre. Je n’ai jamais imaginé que la liberté pouvait être si belle. Je n’ai jamais imaginé que l’on pouvait voyager en train cinq heures de suite sans être arrêté, sans avoir à montrer mon laissez-passer, sans être questionné sur les raisons de mon voyage, sans avoir dû attendre des heures dans une salle d’attente au checkpoint.

Je ne voulais pas que mon voyage en train s’arrête. Je souhaitais que le conducteur continue, jusqu’à ce que nous atteignions le bout de l’univers.

Si seulement j’avais pu faire cela plus vite! Si seulement j’avais pu aller au-delà de la Cisjordanie quand je le voulais! Si seulement j’avais pu aller jusqu’au Caire ou Amman, ou à n’importe quel autre endroit sans être arrêté, sans avoir à attendre trois jours que les barrières soient ouvertes, sans craindre de ne jamais revoir ma famille! Si seulement on pouvait sortir de Gaza pour de petites vacances, pour amener ses enfants à la plage d’Alexandrie ou voir les pyramides! Si seulement il y avait des magasins en dehors de Gaza, où l’on peut aller et venir, alors, il n’y aurait plus de roquettes artisanales pour traverser le ciel de Gaza. »

 


 

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