Pleureras-tu pour une orange?
Pleureras-tu pour une olive?
Pleureras-tu?
Oui, je pleurerai pour le grain de sable.
Je pleurerai jusqu’à ce que tu
saches
que la Palestine est mon pays.
Chers Amis,
Voilà, la boucle est fermée,
je suis rentrée en Suisse, saine et sauve,
la tête pleine d’images, les oreilles
pleines de tout ce que j’ai entendu, le
cœur plein d’admiration pour le courage
des Palestiniens qui s’acharnent à
vivre dans des conditions extrêmement
difficiles.
Le but de mon voyage en Palestine était
double: d’une part, mieux connaître
le vécu des Palestiniens et leur dire
«nous ne vous oublions pas», d’autre
part, témoigner de ce vécu à
mon retour en Suisse. Je pense avoir atteint
le premier but là-bas, la réussite
du second dépend de l’attention
que vous voudrez bien prêter à
ce récit.
Si vous pensez que l’apartheid est une
bonne chose, ne lisez pas la suite de cette
lettre! Car il s’agit bien d’apartheid.
Tout est séparé en deux parties
inégales: israélien / non israélien.
Il y a les villes israéliennes, les colonies
israéliennes disséminées
sur tous les territoires palestiniens «occupés»
où les Palestiniens n’ont pas le
droit d’aller. Mais l’autorité
militaire israélienne interdit également
aux Israéliens d’utiliser certaines
routes ou d’entrer dans certains quartiers
des villes palestiniennes telles que Bethléem,
Hébron, Jéricho… Ils sont
passibles d’amendes ou même de peine
de prison s’ils se font contrôler
par la police israélienne dans ces zones!
En Cisjordanie, le mur de séparation
est omniprésent, dans toute son horreur
(8 mètres de haut), malgré les
graffiti que les Palestiniens ont tracés
dessus dans certains quartiers d’habitation.
La région de Bethléem, Beit-Jala
et Beit-Sahour est cernée de toutes parts
et les militaires israéliens sont là,
mitraillette au poing. La plupart des habitants
de ce tout petit périmètre ne
sont plus sortis de leur village depuis plus
de dix ans! Car, pour aller à Jérusalem
(8 km), il leur faut une carte d’identité
spéciale, valable une année, assortie
d’un permis de circulation délivré
par l’autorité israélienne,
à renouveler tous les 3 mois (et il faut
chaque fois attendre plusieurs jours pour recevoir
le nouveau permis). Alors, les gens n’ont
pas envie de bouger de chez eux, ils ont peur
de rencontrer des colons israéliens (armés)
et ils ne veulent plus traverser les checkpoints
où il faut passer l’un après
l’autre par un ou deux tourniquets métalliques
et subir un contrôle bien plus sévère
que celui que nous avons dans nos aéroports.
Les checkpoints sont une source d’allongement
de tous les trajets (car on ne peut franchir
le mur qu’aux checkpoints), sans compter
les temps d’attente et de contrôle
de tous les laissez-passer, une humiliation
et une cause d’irritation car il n’y
a aucune règle qui garantit l’ouverture
ou la fermeture du checkpoint.
J’ai rencontré beaucoup de gens
formidables, dynamiques, créatifs et
travailleurs ; j’ai rencontré également
le fatalisme, le désoeuvrement (45% de
chômeurs à Bethléem et pas
d’indemnités de chômage),
la pauvreté (voire la misère),
la saleté… Sans les aides internationales,
les ONG, les organismes de Volontaires et Bénévoles,
les Eglises de toute confession, la Palestine
est vouée à une mort certaine.
Le territoire qui s’étendait, avant
1948, dans l’espace limité par
le Liban, la Syrie, la Jordanie, l’ Egypte
et la Mer Méditerranée, ne comprend
plus actuellement que 19% de cette surface et
les Palestiniens ne peuvent pas passer de Cisjordanie
à Gaza ou vice versa. Les principaux
points d’eau sont sous contrôle
israélien, pour leurs colonies en priorité.
En été, il y a parfois des périodes
de six semaines pendant lesquelles il ne pleut
pas et pendant lesquelles Israël garde
les robinets fermés! Elles sont belles
les forêts israéliennes, ils sont
beaux «leurs» arbres fruitiers,
mais combien a-t-il fallu de larmes de Palestiniens
pour les arroser?
Sécurité, sécurité,
sécurité!
Tous les prétextes sont bons pour exproprier
les Palestiniens et démolir leurs maisons,
une loi israélienne leur interdisant
de la reconstruire. Durant la période
où j’étais là, Israël
a prévu de détruire 88 maisons
à l’extérieur de l’enceinte
de la vielle ville de Jérusalem, en zone
palestinienne, pour construire… un parc!
Peuple de paysans, par excellence, les Palestiniens
sont privés de leurs oliviers, leur principale
source de revenu, qui sont arrachés (et
parfois replantés du côté
israélien) pour construire le mur.
J’ai eu la chance de travailler dans
un Centre d’ Education à l’
Environnement. Des locaux exigus et mal chauffés
(j’ai eu vraiment froid!), situés
dans une nature que le Centre s’efforce
de préserver et d’entretenir (grâce
au soutien financier de l’Eglise luthérienne).
Le but du Centre est axé sur la prise
de conscience des problèmes de l’environnement,
de la sauvegarde des ressources naturelles (l’eau
notamment), du maintien de la flore et de la
faune et de l’embellissement de leur contrée
en cherchant à édifier une Palestine
verte!
Différents groupes de population sont
mobilisés pour arriver à cela:
des étudiants, des enseignants, des groupes
de femmes, des chefs d’entreprise. Parmi
les moyens utilisés, il y a les publications,
des livres, des brochures, des jeux ou des concours
pour les écoliers, des campagnes de volontaires
et l’organisation de journées thématiques
comme celle du nettoyage des lieux publics ou
le festival de la récolte des olives.
Celui-ci a lieu chaque année et permet
aux paysans (qui en ont encore), de vendre leur
huile et aux artisans de vendre des objets fabriqués
à partir de bois d’olivier.
Le Directeur exécutif du Centre, biologiste
de formation, s’investit énormément,
avec beaucoup d’enthousiasme et de compétence,
sans compter ses heures. Il réalise un
travail très important dans un pays où
la conscience de l’environnement et de
ses retombées sur le vécu des
êtres humains fait cruellement défaut.
J’ai également pu passer dans
un atelier protégé pour «personnes
ayant des besoins spéciaux»: adultes
handicapés mentaux profonds, IMC ou autistes.
Là aussi, je suis admirative devant les
réalisations qui sont faites avec très
peu de moyens (pas d’assurance invalidité,
pas de subsides de l’état). Les
femmes qui animent cet atelier le font avec
beaucoup d’empathie, de dynamisme, d’ingéniosité
en incluant le plus possible les «pensionnaires»
dans la production d’un travail artisanal
qui leur donne une image positive d’eux-mêmes
et qui leur rapporte quelques ressources financières,
si minimes soient-elles, pour couvrir partiellement
les frais de matériel et de locaux de
l’atelier.
J’ai passé une autre journée
dans un Centre d’accueil de jour pour
personnes âgées. Un lieu de rencontre
convivial et souriant, avec des activités
proposées pour permettre aux aînés
de jouir d’un petit moment de bien-être
bien mérité. Il n’existe
bien sûr pas d’assurance vieillesse
(AVS pour les Suisses): le Centre ne peut fonctionner
que grâce à des dons extra–palestiniens
et les salaires du personnel d’accompagnement
est insuffisant pour subvenir aux besoins d’une
famille (450 à 600 CHF par mois).
J’ai visité plusieurs écoles,
du niveau jardin d’enfants à la
fin de la scolarité secondaire. La plupart
des écoles sont privées ou confessionnelles,
c’est à dire dépendant des
dons d’organismes ou des Eglises. L’état
ne finance ni les locaux, ni les salaires des
enseignants. Plusieurs familles n’arrivent
plus à payer l’écolage et
dépendent de la «charité»
de donateurs. Les classes comprennent entre
30 et 35 élèves et les Services
auxiliaires scolaires se résument à
quelques heures de cours d’appui avec
un enseignant spécialisé, pour
les cas les plus difficiles. Pas de psychologie
scolaire, pas de logopédie… Par
contre, tous les enfants apprennent plusieurs
langues dès la première primaire
: arabe, anglais et allemand ou anglais et français
suivant l’organisme ou le pays qui soutient
l’école.
J’ai pu voir des ateliers de verre soufflé,
de céramique, de fabrication de keffiehs,
de sculpture de bois d’olivier. Les locaux
sont vétustes, malsains et démunis
de mesures de sécurité élémentaires
et de protection sonore là où
il y a des machines ou des fours en activité.
Un autre problème: les Camps de réfugiés.
Il en existe encore plusieurs depuis 1948 et
1967. Les tentes ont fait place à des
cubes de béton. les rues sont étroites
et mal entretenues et ne sont pas éclairées
la nuit. Les enfants n’ont pas d’autre
place de jeu que la rue. Pas de plantes, pas
de jardins : la promiscuité y règne.
Mais que faire de cette population qui en est
à la troisième génération:
leurs terres ont été confisquées,
leurs habitations démolies et les colons
parfois fraîchement débarqués
de Russie, de France, des USA ou d’ailleurs
règnent en maître sur le sol qui
a vu naître les parents et les grands-parents
des réfugiés, depuis des générations…
Des «Volontaires» internationaux
tentent d’aider les femmes des camps en
créant des ateliers d’objets artisanaux
: broderie, confection de vêtements, objets
divers.
Avec mon passeport suisse, j’ai pu voyager
et aller à Hébron, Jéricho,
Jérusalem et Nazareth, en empruntant
parfois jusqu’à sept bus ou taxis
différents pour une seule destination.
Tout déplacement prend du temps, si vous
ne voyagez pas à bord d’une voiture
avec plaques jaunes israéliennes (celles
des Palestiniens de Cisjordanie sont vertes
et ne sont pas admises sur les autoroutes israéliennes).
J’ai été confrontée
à la stupidité des règlements
policiers israéliens car j’ai voulu
passer la frontière vers la Jordanie,
depuis Jéricho, pour aller voir le Pont
Allenby. Quand j’ai réalisé
qu’il fallait payer un visa d’entrée
(50 à 60 CHF), j’ai renoncé
à ce projet. Mais je me suis trouvée
coincée par les contrôleurs israéliens
qui ne comprenaient pas pourquoi je voulais
faire demi tour. J’ai été
bombardée de questions toutes plus idiotes
les unes que les autres jusqu’à
ce qu’on veuille bien me rendre mon passeport
et mon téléphone portable et accepter
le fait que je ne souhaitais qu’une chose
: retourner à Jéricho par le même
chemin que celui que j’avais emprunté
le matin même, mais en sens inverse!
Durant les trois jours que j’ai passés
à Jérusalem, j’ai sillonné
la vieille ville en tous sens et je souhaitais
aussi pouvoir admirer l’esplanade du temple
et la Mosquée. Impossible le vendredi:
c’est le jour de prière des musulmans.
Impossible le samedi: c’est le shabbat
et les militaires israéliens empêchent
l’accès de plusieurs lieux stratégiques
de la vieille ville. Il ne me restait que le
dimanche matin. Les militaires israéliens
m’ont arrêtée là où
je voulais passer: on ne passe pas par ici avant
10 heures du matin. Après deux checkpoints
et une queue, j’accède finalement
à l’esplanade. Mais, presque aussitôt
un policier arrive: il faut partir, on ne peut
pas rester ici après 10 heures! Allez
comprendre leur logique : pas le vendredi, pas
le samedi, pas avant 10 heures, pas après
10 heures!
Tout est difficile pour les Palestiniens,
alors que les colons israéliens, dont
plusieurs ont installé leur colonie dans
l’illégalité complète
sur des territoires palestiniens, ont tous les
droits.
A Hébron, des rues entières
ont été barricadées car
les colons se sont installés dans des
maisons voisines : ils chicanent et humilient
les Palestiniens régulièrement,
jetant leurs immondices par les fenêtres
dans les rues palestiniennes. Les commerçants
palestiniens des rues squattées par les
colons israéliens ont dû fermer
boutique car des barrières métalliques
en empêchent l’accès.
Combien de traités de paix y a-t-il
eu depuis 1948? Pas un seul n’a réussi
à convaincre les deus parties. Les palestiniens
ne peuvent accepter la confiscation et l’occupation
de leurs terres que les Israéliens accaparent
au nom d’un droit biblique ou de leur
sécurité…
Je ne me suis jamais sentie en insécurité
sur les territoires palestiniens et pourtant,
je me promenais très souvent seule: les
Palestiniens ne sont pas belliqueux ni haineux,
ils ne cherchent pas l’affrontement. Ils
demandent juste que justice leur soit rendue
et qu’on leur laisse le droit de vivre
dans des conditions décentes.
Tout ce que je vous raconte ici, je le savais
partiellement avant de partir: je ne peux que
le confirmer et vous dire que je l’ai
vu de mes propres yeux. Je pourrai vous en montrer
des photos, pour ceux que cela intéresse.
Je ne vous parle pas de Gaza, car je n’y
suis pas allée. Il paraît qu’on
va reconstruire Gaza! Mais comment fera-t-on
pour rendre à leurs parents les 400 enfants
tués par l’armée israélienne,
comment fera-t-on pour rendre leur mère
ou leur père aux orphelins, pour rendre
les vieillards à leur famille? Au nom
d’une soi-disant sécurité,
tous les crimes sont-ils permis? Je vous livre
à la fin de ma lettre le témoignage
de Ahmed Masoud qui a quitté Gaza en
2002.
Du travail, il y en aurait plein, mais l’argent
manque. Alors, si vous voulez aider les Palestiniens,
venez voir sur place (le tourisme est une des
rares sources de revenu). Et si vous connaissez
des jeunes qui souhaitent passer quelques mois
ou une année sabbatique en faisant du
volontariat, il y a des tas d’organismes
auxquels ils peuvent s’adresser. Je peux
également vous indiquer quelques opportunités.
Avant de terminer cette missive, je tiens
à remercier tous les Palestiniens si
joviaux qui vous disent «welcome»
avec le sourire à tous les coins de rue,
à Vous Tous qui avez eu la patience
de me lire et qui m’avez encouragée
dans mon entreprise.
Recevez mes salutations chaleureuses et amicales
M. F.-D.
N.B. Pour ceux qui ont reçu ma première
lettre, veuillez m’excuser de l’erreur
que j’ai commine en vous communiquant
le numéro du compte de l’Association
Aider Beit Sahour. Veuillez prendre
note du numéro exact ci-dessous. Merci
Association Aider Beit Sahour, Cis Jordanie
Banque Cantonale de Fribourg, SUISSE BIC: BEFRCH22
IBAN: CH9800 7680 1104 0085 809 (ne pas laisser
de blanc entre les chiffres)
Témoignage
de Ahmed Masoud,
chercheur palestinien et étudiant à
l’Université de Londres
« Lorsque j’ai pris le train
de Londres vers l’Ecosse pour la première
fois, j’ai emporté mon passeport
avec moi, au cas où je rencontrerais
un policier qui me demanderait mon laissez-passer.
Le train partit. Mon visage était quasi
collé à la fenêtre. Je n’ai
jamais imaginé que la liberté
pouvait être si belle. Je n’ai jamais
imaginé que l’on pouvait voyager
en train cinq heures de suite sans être
arrêté, sans avoir à montrer
mon laissez-passer, sans être questionné
sur les raisons de mon voyage, sans avoir dû
attendre des heures dans une salle d’attente
au checkpoint.
Je ne voulais pas que mon voyage en train
s’arrête. Je souhaitais que le conducteur
continue, jusqu’à ce que nous atteignions
le bout de l’univers.
Si seulement j’avais pu faire cela plus
vite! Si seulement j’avais pu aller au-delà
de la Cisjordanie quand je le voulais! Si seulement
j’avais pu aller jusqu’au Caire
ou Amman, ou à n’importe quel autre
endroit sans être arrêté,
sans avoir à attendre trois jours que
les barrières soient ouvertes, sans craindre
de ne jamais revoir ma famille! Si seulement
on pouvait sortir de Gaza pour de petites vacances,
pour amener ses enfants à la plage d’Alexandrie
ou voir les pyramides! Si seulement il y avait
des magasins en dehors de Gaza, où l’on
peut aller et venir, alors, il n’y aurait
plus de roquettes artisanales pour traverser
le ciel de Gaza. »