logoCollectif Urgence Palestine
Témoignages directs de Palestine:



>> autres articles, témoignages...


> Adieu Bassem - au format pdf


voir le film:
>> Bilin Conference 2009 - film de Nathan Finkelstein 22/06/09




mêmes auteurs:
>> Chronique d'une mort planifiée I - Pique-nique sous un Olivier en Palestine - rapport 21e mission 03/12/07






Chronique d’une mort planifiée (suite-II)
bassem abu rahme - killed by israeli forces in bil'in

Adieu Bassem

rapport de deux militants du CUP Nyon - La Côte
ayant participé à la 4e Conférence internationale de Bil'in du 22 au 24 avril 2009

La mort de Bassem Abu Rahma, tué par l’armée israélienne le vendredi précédent la conférence, lors de la manifestation pacifique hebdomadaire du village, a plané sur toute la conférence. Ce jeune homme de 30 ans était en quelque sorte l’âme de la jeunesse du village et participait chaque vendredi à la manifestation en insistant auprès de ses camarades sur son caractère non-violent. Ce grand gaillard que le village appelait familièrement «El Phil» (l’éléphant) était très écouté et cailloux et lance-pierres restaient souvent dans les poches. L’émotion était vive et nous, ainsi que tous les participants, l’avons profondément ressentie.

L’ouverture de la conférence, mercredi 22 avril, s’est faite en rendant hommage à Bassem. Eyad Burnat, Directeur du Comité populaire de Bil’in, Salam Fayad, Premier ministre de Palestine, Luisa Morgantini, Vice-présidente du Parlement européen, et Mairead Maguire, Prix Nobel de la Paix, se sont ensuite exprimés sur la nécessité de poursuivre la résistance populaire comme stratégie pour contrer l’oppression et défendre les droits élémentaires à la vie et la liberté du peuple palestinien. Le premier ministre Salam Fayad a insisté sur le fait que l’Autorité palestinienne (AP) a toujours soutenu, et soutiendra toujours, les comités populaires. Jimmy Carter, ancien Président des Etats Unis, avait également envoyé une lettre de soutien à la conférence. La journée s’est poursuivie par différentes interventions sur la situation critique de Jérusalem Est due à l’expansion des colonies ainsi que sur la manière de promouvoir une culture de résistance. Les maires des villages Ni’lin, Al-Mas’sarah (Mahmoud Zwahre qui était parmi nous en Suisse en janvier), de la vallée du Jourdain, du sud d’Hébron et de Bil’in ayant introduit des campagnes de résistance populaire ont décrit leurs méthodes pour des actions efficaces. Dans la soirée un groupe de représentants des principaux courants politiques se sont exprimés sur l’avenir de la résistance populaire non violente. Les dissensions entre eux étaient normales mais tous se sont exprimés avec calme et modération.

Mustapha Barghouti (Secrétaire général de l’Initiative générale palestinienne), n’a cependant pas hésité à critiquer sévèrement l’attitude de l’AP en se référant notamment aux accords d’Oslo qu’il estime avoir divisé les palestiniens. Il a estimé également qu’en tenant compte de l’état de l’occupation actuelle qui ne fait qu’empirer et de la progression de la construction des colonies, l’AP devrait cesser les négociations avec Israël et s’orienter beaucoup plus vers l’union des partis politiques et de la résistance populaire afin de travailler ensemble en apportant un soutien plus conséquent aux populations qui résistent.

Deuxième jour

i) Groupe de travail

Quatre groupes de travail se sont mis en place. Nous avions choisi le groupe «Responsabilité des Entreprises vis-à-vis des Violations du Droit international – campagnes et actions». Les débats étaient menés par Shawan Jabarin, directeur général d’Al-Haq (ONG palestinienne pour la défense des droits de l’Homme), Michael Sfard, avocat israélien, mandaté par le conseil municipal du village de Bil’in, et Dalit Baum de l’association israélienne «Who profits?». L’industrie de l’occupation a été très clairement expliquée. Toutes les compagnies privées qui, par exemple, participent à la construction des colonies font directement partie du système et violent ainsi le droit international. Elles sont donc passibles des mêmes peines pénales que l’occupant. L’association France Palestine Solidarité (AFPS) a d’ailleurs engagé une action judiciaire devant le Tribunal de Grande Instance de Nanterre contre les Sociétés ALSTOM et VEOLIA TRANSPORT pour tenter d’obtenir l’annulation du contrat qu’elles ont passé avec Israël pour la construction et l’exploitation du tramway reliant les colonies illégalement installées en Cisjordanie à Jérusalem, ce qui est en totale contradiction avec le droit international. Nous avons été informés que la plainte de l’AFPS a été retenue et que la procédure se poursuit ce qui représente déjà un premier succès de la solidarité. Un autre exemple est la Compagnie Canadienne Québécoise de Construction qui est impliquée non seulement dans la construction d’une colonie mais aussi dans la vente des appartements. Cette compagnie viole le droit international mais aussi le droit interne canadien qui est aligné sur le droit international. Ce n’est pas le cas de la France, par exemple, qui n’a pas incorporé le droit international au droit national, ce qui représente une difficulté supplémentaire en cas de plaintes pénales. En outre, il est souvent difficile de remonter les filières pour déterminer l’origine des vrais responsables du fait de différentes astuces juridiques : prête-nom, pays hôte, etc. Le Gouvernement israélien est passé maître dans ce genre de transaction; ce qui faisait partie de l’Etat est maintenant privatisé. Le travail des avocats engagés par la société civile palestinienne consiste aussi à chercher qui fait travailler ces entreprises privées et quel est leur degré de complicité. Il est essentiel de s’assurer au préalable que toutes les voies internes aient été épuisées et que le droit domestique corresponde au droit international.

Toutes les compagnies impliquées d’une manière ou d’une autre dans une action contrevenant le droit international peuvent être amenées devant les tribunaux. Les banques qui financent ou prêtent des fonds pour des actions illégales, comme DEXIA (société belge) à qui le Gouvernement israélien a délégué ses activités financières, en sont un exemple parmi d’autres. Dexia ayant été nationalisée, l’Etat belge sera donc aussi tenu pour responsable.

Le boycott, en tant qu’effort parallèle et non concurrentiel, est intéressant également dans ce domaine car l’avantage de focaliser l’action sur une multinationale est de pouvoir attaquer ses intérêts financiers. Cependant, les compagnies ne peuvent pas toutes être considérées comme responsables ou même complices, car il est essentiel de pouvoir prouver qu’il y a un lien entre elles et des violations de droits humains et ce lien est souvent très difficile à identifier. En outre, toutes ces procédures d’identification et de plainte pénale sont très couteuses et la société civile palestinienne ne possède pas les fonds pour entreprendre des actions contre un grand nombre de compagnies. Il a été recommandé à la solidarité dans le cas où une entreprise est connue pour telle ou telle action illégale de diffuser largement son implication et de boycotter ses produits s’il y a lieu

 

ii) Visite sur le Terrain

Une sélection de cinq visites sur le terrain a ensuite été organisée. Notre préférence s’est portée sur la partie nord de la Cisjordanie que nous ne connaissions pas ; c'est-à-dire Tulkarem et Kalkiliya. A Tulkarem, le Mur de béton divisant la ville et passant au milieu d’une maison est une vision absurde. Les habitants de la maison coupée en son milieu ont fait du Mur leur jardin. De ravissantes plantes s’agrippent au béton et les platebandes multicolores courent le long du Mur. Le contraste est saisissant entre le «terroriste» palestinien qui plante des fleurs le long du Mur et la «démocratie» israélienne qui construit un mur de béton divisant le village en deux, séparant les familles et détruisant son économie. En route vers Kalkiliya nous nous sommes arrêtés près du village de Irtah devant une usine de produits chimiques (produits de ménages, pesticides et fertilisants agricoles) qui était à l’origine installée du côté israélien à Kfar Saba, puis qui a été transférée en territoire palestinien en 1985 suite aux récriminations des habitants de ce village israélien. Le médecin du district, Dr. Mohamad Aboushi, nous a expliqué que la plupart du temps le vent soufflait vers le côté palestinien et que les émanations chimiques provoquaient au sein de la population des villages environnants des maladies respiratoires sérieuses qui affectaient aussi beaucoup les enfants (bronchites à répétition, asthme, pneumonies, etc.). Quand pendant les quelques deux semaines par année où le vent changeait de direction et soufflait vers le côté israélien, l’usine fermait ses portes. A Kalkiliya, nous avons été appréhendés par des militaires israéliens alors que nous parlions avec des travailleurs palestiniens. Un check-point a été aménagé uniquement pour eux. Ils le traversent à pied, après que les cars des entreprises israéliennes les aient déposés. Leurs conditions de travail sont pour la plupart scandaleuses. Pas de couvertures sociales, salaires bien plus bas qu’en Israël et payés à la journée, longues journées dont les heures supplémentaires ne sont souvent pas payées, etc. Etant donné les fouilles et les vérifications d’identité interminables au check-point, ils doivent se rendre au passage entre 3 et 4 heures du matin afin de ne pas être en retard pour les bus qui les attendent de l’autre côté à 7h et qui partent sans eux en cas de retard, même léger. Donc pas de salaire dans ce cas là.

Les cinq militaires israéliens, qui n’appréciaient visiblement pas la présence de notre groupe, nous ont fort désagréablement demandé, mitraillette au poing, de ne pas photographier le Mur, et ont voulu confisquer nos appareils sous le prétexte que nous étions devant un site militaire ! Une altercation violente a suivi, les militaires voulant arrêter un membre du groupe qui refusait de leur remettre son appareil. Après deux heures de tracasserie nous avons pu repartir avec nos appareils, mais seulement après avoir été contraints d’effacer les photos incriminées.

 

Troisième jour – Manifestation

Vendredi 24 avril, clôture de la conférence de la résistance non-violente, était aussi le jour de la manifestation hebdomadaire. Après les présentations finales des groupes de travail, nous avons été briefés sur l’attitude à adopter face aux attaques des militaires israéliens lors de la manifestation. Dès la fin de la prière du vendredi, nous nous sommes regroupés devant la mosquée de Bil’in. Nous étions approximativement 300 manifestants : palestiniens, un petit groupe d’activistes israéliens et internationaux confondus. Des T-shirts blancs avec l’effigie de Bassem nous ont été distribués et nous nous sommes alors dirigés vers la barrière d’annexion, à environ 800m de la mosquée. Le Mur à Bil’in n’est pas une construction en béton mais constitué d’un grillage de 3 à 4m de haut avec des fils barbelés à profusion. Cette manifestation populaire hebdomadaire est clairement non-violente et l’a toujours été. Par contre les actions de répression de l’armée israélienne sont, elles, clairement violentes. Là encore, le contraste est saisissant. D’un côté des villageois et leurs supporters en T-shirt, sans armes, chantant des slogans contre le Mur et les colonies, réclamant la restitution de leur terre et de l’autre côté une centaine de militaires israéliens en tenue complète de combat avec derrière eux des véhicules blindés de toutes catégories. Les jeunes camarades de Bassem avaient décidés de placer une plaque commémorative à l’endroit où il était tombé. C’est alors que nous nous sommes rendus compte qu’il avait été tué à bout portant et que les déclarations de l’armée israélienne quant à un accident étaient fausses, encore ! Bassem a été abattu près de la barrière donc quasiment à portée de main des militaires. Le courage des jeunes de Bil’in est inouï. Malgré les balles recouvertes de caoutchouc et les gaz lacrymogènes de haute intensité ils ont continué sans relâche à creuser pour finalement réussir à placer la plaque commémorative. Luisa Morgantini était d’ailleurs avec eux faisant preuve, elle aussi, d’un courage exceptionnel. Les soldats tiraient sur les manifestants avec les grenades lacrymogènes (mais dont la taille est celle d’un poing fermé, comme celle qui a tué Bassem). Nous avons vu devant nous un manifestant parisien qui a été clairement visé par un soldat. Il a pu éviter de justesse le projectile mais il a quand même été blessé à la joue. Nous avons nous-mêmes dû nous protéger à plusieurs reprises derrière une des deux ambulances mais n’avons pas échappé au gaz lacrymogène qui étouffe et pique les yeux, empêchant pendant quelques instants de respirer et de voir. La sensation est quelque peu paniquante car nous perdons momentanément tous nos repères. Vingt cinq blessés, des blessures de légères à un peu plus sévères, ont été recensés. Les soldats tiraient de tous les côtés. Nous avons compris la rage qui tout à coup a pris les jeunes du village. En un éclair, comme si un signal avait été donné, lance-pierres et frondes sont sortis des poches et cailloux et pierres se sont mis à voler vers l’autre côté de la barrière ne tenant aucun compte des appels au calme des Bil’inois plus âgés.

Rétrospectivement, malgré la situation tragique, nous ne pouvons pas nous empêcher de sourire au souvenir de la vue de ces militaires armés jusqu’aux dents se grouper et se protéger des cailloux par de grands boucliers nous faisant penser aux bandes dessinées d’Astérix le gaulois et les romains avec leur fameuse formation en «tortue». Pendant tout ce temps l’armée activait un sifflet strident et criait par haut parleur en arabe «vous êtes dans une zone militaire ; vous n’êtes pas autorisés à vous approcher du Mur» et répétant sans cesse en anglais cette phrase incongrue et incompréhensible dans la situation dans laquelle nous étions: «Vous approchez d’une zone d’exclusion de navires. Faites immédiatement demitour». Et pourtant chaque vendredi les habitants de Bil’in reviennent pacifiquement sur ces lieux avec la même détermination et les mêmes revendications, convaincus de leurs droits et qu’ils finiront bien par reprendre ce qui leur appartient .

 

Résumé des Conclusions et Recommandations de la Quatrième Conférence internationale sur la Résistance Non Violente.

  • L’union nationale a été un des messages les plus forts. Union entre les comités populaires et union entre les partis politiques.
  • Les mouvements de boycott (BDS: Boycott-Désinvestissement-Sanctions) ont été fortement encouragés. La nécessité de faire pression sur la communauté internationale pour boycotter les produits israéliens a été évoquée tout au long des trois jours de débat.
  • Combattre le rehaussement des accords de coopération Europe-Israël et demander leur suspension tant qu’Israël viole les lois internationales.
  • Continuer et intensifier la résistance non violente en s’appuyant sur le droit international et en démontrant toutes les violations de ce droit par l’Etat d’Israël. Un soutien à la propagation de la résistance non violente à toutes les régions de Cisjordanie a été vivement encouragé.
  • Une meilleure coordination entre les comités populaires et un soutien plus tangible de la part de l’Autorité palestinienne à la résistance ont été ardemment souhaités.
  • Coordonner les campagnes palestiniennes et internationales pour poursuivre les criminels de guerre israéliens.
  • Intensifier le mouvement international de solidarité avec la Palestine.
  • Renforcer les relations avec les groupes pacifistes israéliens qui rejoignent la résistance populaire palestinienne contre l’occupation.
  • La prochaine conférence se tiendra en avril 2010

 

Le souvenir de Bassem est encore très présent et le sera encore pendant longtemps. Ce jeune homme représentait la jeunesse palestinienne qui voulait que sa Palestine vive libre et dans la paix en utilisant pour y parvenir des moyens non violents. Avec des jeunes gens comme Bassem, Israël et la Palestine pouvait envisager un avenir de paix soit en commun soit côte à côte. Israël a tué cet espoir pour beaucoup des camarades de Bassem mais elle a en même temps tué un peu de son propre avenir. Adieu Bassem.

 

Caroline et Nathan Finkelstein - CUP Nyon - La Côte 23/05/09

 

> Adieu Bassem - au format pdf
voir le film: >> Bilin Conference 2009 - film de Nathan Finkelstein 20/06/09


 

CUP adresse